AFFAIRE HABRE - Acte de décès du détenu Demba Gaye, mise en liberté de Abdourahmane Guèye : Les pièces extraordinaires de la Dds

Les Chambres africaines extraordinaires déjà immergées dans le procès contre l’ancien dictateur tchadien, Hissène Habré, disposent désormais, de nouveaux documents dénichés par Human Rights Watch. Ces documents constitués d’un certificat de décès et d’une déclaration de mise en liberté corroboreraient le récit de Abdourahmane Guèye, victime de sévices au Tchad. Ils ont été remis aux Chambres africaines extraordinaires.


AFFAIRE HABRE - Acte de décès du détenu Demba Gaye, mise en liberté de Abdourahmane Guèye : Les pièces extraordinaires de la Dds
Le dossier des Chambres africaines extraordinaires contre Hissène Habré se corse de jour en jour. Les éléments à charge pleuvent de tous bords. Cette fois-ci, c’est Human Rights Watch qui s’y colle en dénichant deux documents qui viennent étayer en tous points le récit bouleversant de Abdourahmane Guèye sur son aventure tchadienne. Le premier est une correspondance entre le chef du service pénitencier, de la documentation et de la sécurité et le directeur de la documentation et de la sécurité. La seconde trouvaille est plus macabre, mais plus explicite. C’est le certificat de décès d’un détenu sénégalais nommé Demba Gaye.
 Le troisième élément à charge est aussi une correspondance entre le même chef de service et le directeur de la Dds et porte sur la libération du détenu Abdourahmane Guèye. Cette contribution de Human Rights Watch oblige les Chambres africaines extraordinaires à prendre en compte ces piéces.  Des sources proches de l’enquête assurent : «Le procureur spécial Mbacké Fall a déjà en sa possession lesdits documents. Il compte les exploiter.»
Le corpus des correspondances passées entre le chef du service de la documentation et de la sécurité et le directeur de la Dds est très révélateur. La première missive émise à N’Djaména le 17 novembre 1987 porte dans son en-tête les mentions suivantes : «République du Tchad, Présidence de la République, Direction de la documentation et de la sécurité, Service pénitencier DDS/S/CD/D­/8711N(sic)». L’objet qui y est spécifié est celui-ci «décès d’un détenu». Dans la lettre, le chef du service de la documentation relate à son supérieur, de façon laconique, le décès de Demba Gaye : «J’ai l’honneur de vous rendre compte qu’en date du 15 novembre 1987, à 18h30, un détenu nommé N’Gaye Demba arrêté par les agents de la sûreté  à l’aéroport en date du 25 mars 1987, sénégalais en provenance de la Rca par van français, suspecté par la sûreté nationale et transféré à la Dds est décédé par suite de maladie. L’intéressé est rayé de la liste de nos détenus. Ci-joint, le certificat de décès.»(sic)  Encore plus lapidaire, le certificat de décès élaboré le 16 novembre 1987 par le chef de service de santé et chef de service pénitencier de la Dds joint au document relate : «Je soussigné le chef de service de santé de la brigade spéciale d’intervention rapide, atteste que le détenu politique Gaye Demba, de nos locaux de détention est décédé en date du 15 novembre 1987 suite des œdèmes inflammatoires récidivants des membres inférieurs et supérieurs, de dysenterie amibienne et d’anémie sévère. En foi de quoi, le présent certificat est délivré pour servir et valoir ce que de droit.»(sic)
Cet échange de correspondances venait là de clore le chapitre de la fin tumultueuse de Demba Gaye. Son compagnon d’infortune Abdourahmane Guèye est, lui, plus heureux dans son aventure tchadienne. Son calvaire avait pris fin suite à une série de correspondances. L’une d’elles, datée du 3 février 1988, passée entre les mêmes autorités évoquées plus haut et ayant pour objet la «mise en liberté d’un détenu de nationalité sénégalaise» révèle : «J’ai l’honneur de vous rendre compte qu’en la date du 02/02/88, le détenu nommé Gaye Abdourahmane de nationalité sénégalaise, arrêté le 25 mars 1987 pour être dans des zones militaires interdites est libéré sur ordre du directeur. L’intéressé est remis à son ambassadeur Papa Louis Fall en présence du ministre de l’Intérieur monsieur Brahim Itno.»(sic)

Acte de décès
Ces documents risquent de donner un sacré coup de pouce à l’instruction. Déjà le Parquet général ainsi que la Chambre d’instruction ont quitté le Sénégal pour le Tchad. Ces documents, fossiles de deux histoires entrecroisées, tragique pour l’une et éprouvante pour l’autre, ébauchent les récits de l’aventure de deux Sénégalais aux prises avec la Dds. Un rapport de Human Rights Watch qui a passé au crible les éléments de l’affaire revient sur les circonstances qui ont présidé à l’arrestation des deux Sénégalais : «Demba Gaye et Abdourahmane Gueye furent arrêtés le 25 mars 1987 à l’aéroport de N’Djaména. Arrivés en provenance de la République Centrafricaine à bord d’un avion militaire français pour livrer des commandes de bijoux aux soldats français des régiments de Bangui venus en mission au Tchad. Cette collaboration dura plusieurs années jusqu’à leur dernier déplacement au Tchad où ils furent arrêtés.(sic)»
Bouleversantes histoires
Officiellement leur arrestation était motivée par leur présence sur des zones militaires interdites. Mais, en vérité, cette arrestation avait été orchestrée «par des agents de la police politique de Hissène Habré, la Dds, qui souhaitaient leur dérober l’or et les bijoux qu’ils venaient vendre au Tchad». Demba Gaye et Abdourahmane Guèye sont séparés et ne se reverront plus jamais. Demba Gaye est d’abord emmené à la Dds pour interrogatoire, puis transféré le 16 avril 1987 à la prison dite «Les Locaux». Cette prison «abritant en moyenne entre cent et deux cents prisonniers politiques dans cinq cellules» était l’un des plus grands centres de détention de la Dds. Les prisonniers étaient gardés dans des cellules souvent surpeuplées et généralement sans droit de sortie. Cette cellule «de la mort» mesurait 10,9 mètres sur 9,35 mètres, pour une hauteur de 4,2 mètres. A trois moments différents, Demba Gaye y fut détenu respectivement en compagnie de 52, 37 et 43 autres personnes, ce qui représente une surface moyenne par prisonnier de 1,95 à 2,75 m2. Sabadet Totodet, qui était en prison avec Demba Gaye, explique que les causes de sa mort étaient liées à la malnutrition, au manque de soins et à la dysenterie dont il souffrait.
Quant à Abdourahmane Guèye, après avoir été dessaisi de tous ses biens par les agents de la Dds, est incarcéré successivement dans une prison située en face de la Dds, puis dans la prison des «Martyrs» et enfin, dans les «Locaux». Dans sa cellule, 60 personnes cohabitaient et «l’hygiène y était inexistante dans la mesure où les prisonniers y dormaient, y mangeaient et y faisaient leurs besoins». Mais surtout les repas, qui étaient servis une fois par jour vers 17 heures, consistaient en une ration de riz accompagnée d’une sauce préparée dans des barils rouillés qui avaient contenu des produits toxiques. Abdourahmane Guèye, malade, est transféré dans un bâtiment où se trouvaient des combattants. Il y reçut des vêtements propres, et bénéficia même pendant quinze jours, de soins médicaux, de perfusions, et de médicaments. Puis il fut emmené au ministère de l’Intérieur où il fut libéré en présence du ministre tchadien de l’Intérieur de l’époque, Brahim Itno. Il apprendra plus tard que l’intervention de Serigne Abdoul Ahad Mbacké avait été décisive pour sa libération.

Le Quotidien
Mardi 20 Août 2013




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